“En descendant du train qui m’avait emmenée jusqu’ici, j’avais pris conscience que je n’aurais plus jamais peur de moi-même. La décision que je prenais a cet instant de ne pas abdiquer, de ne plus me contraindre à ce qu’on attendait, me procura la sensation d’un humble bonheur. Un jour, quand j’en aurais la patience et le courage, je réussirais à restituer l’humilité de ce bonheur. Je trouverais les mots pour raconter ce souffle. Un idéal d’écriture qui dirait cette promesse, dans laquelle tout est invariablement acceptable; le vacillement, la confusion, la solitude et l’abandon des idéaux. Contre laquelle je n’aurais jamais honte de trébucher, de me perdre. Le sentiment de n’être rien d’autre que ma propre quête.”
“La vérité, avec l’amour, c’est que le cœur sait tout de suite et il le crie. Bien sûr, on ne va pas déclarer à la personne qu’on l’aime, comme ça, de but en blanc. Elle ne comprendrait pas. Alors, histoire de se cacher qu’on est déjà son otage, on lui fait la conversation.”
“La douleur est chose très musicale, on peut presque en parler en termes de musique. Il y a des douleurs graves et d’aiguës, des andante et des furioso, des notes prolongées, points d’orgue, et des arpèges, des progressions — de brusques silence, etc.”
“Je me suis souvent interrogée sur la raison et le sens de mes rages. Je crois qu’elles s’expliquent en partie par une vitalité fougueuse et par un extrémisme auquel je n’ai jamais tout à fait renoncé. Poussant mes répugnances jusqu’au vomissement, mes convoitises jusqu’à l’obsession, un abîme séparait les choses que j’aimais et celles que je n’aimais pas. Je ne pouvais accepter avec indifférence la chute qui me précipitait de la plénitude au vide, de la béatitude à l’horreur ; si je la tenais pour fatale, je m’y résignais : jamais je ne me suis emportée contre un objet. Mais je refusais de céder à cette force impalpable : les mots ; ce qui me révoltait c’est qu’une phrase négligemment lancée :
« Il faut… il ne faut pas », ruinât en un instant mes entreprises et mes joies.”
“Cette liberté publique est une réalité mondaine tangible, créée par les hommes pour jouir ensemble de la vie publique — être vu, entendu, connu et inscrit dans la mémoire des autres. Et ce type de liberté demande de l’égalité, elle n’est possible qu’entre pairs. Sur le plan institutionnel, elle n’est possible que dans une république, qui ne connait pas de sujets et, à strictement parler, pas de dirigeants.”
“Les êtres humaines continueront à être obligés d’aller tous les jours au water-closet. Ils auront toujours à résoudre le problème de savoir comment profiter au mieux du temps qu’ils y passent. C’est pratiquement un problème métaphysique. Au premier abord, il semblerait que le fait de s’abandonner totalement à l’opération de vidange de ses intestins est la chose la plus facile et la plus naturelle du monde. Pour accomplir cette fonction, la nature n’exige de nous rien d’autre qu’une vacance complète. La seule collaboration qu’elle nous demande c’est que nous consentions à nous laisser aller.”
“Nous sommes mortels.
C’est peut-être cela, le sens de la vie.
Mais nous sommes source de langage.
C’est peut-être cela, la mesure de notre existence.”
“À force de passer notre temps sur Internet, les questions relatives au comment nous apparaissent comme les seules questions envisageables, tandis que les questions relatives au pourquoi finissent par disparaître de notre culture. L’inconvénient de notre vie avec les êtres numériques, c’est notre passivité. Nous prenons de la bedaine pour y poser notre tablette, nous passons nos soirées devant un écran bleu, nous nous laissons catégoriser, nous réagissons de manière prévisible aux stimuli, nous devenons des caricatures de nous-mêmes et nous faisons de nos démocraties une farce.”
“Nous sommes des lecteurs. Au fond toute notre vie nous aurons fait cette chose magnifique: lire les autres. Leur prêter notre souffle, notre intelligence, notre imagination.”